Le Marathon Fantastique de l'Eté 2016

Le Marathon Fantastique de l'Eté 2016

Messagepar Greenheart » Sam 4 Juin 2016 20:18

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...Et en avant-première de L’étoile Étrange numéro 1 !

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Ce qui se passe la nuit dehors...

...Une nouvelle Fantastique de Doug Greenheart.




Julie s’était soigneusement brossée les dents, avait soigneusement badigeonné la crème de nuit sur son visage pourtant parfaitement lisse. Demain il y avait école, il n’était pas question de regarder un film ni même d’écouter un peu de musique avant de dormir. La lampe de chevet éteinte, il faisait presque noir dans sa chambre. Presque à cause de la lumière des réverbères qui filtrait par les fentes des volets, alors que les rideaux n’étaient pas tirés. À cause de la lumière qui rampait tout le long du couloir depuis les autres pièces.

Pendant les minutes qui précèdent le sommeil, on n’a rien d’autre à faire qu’écouter et penser. Julie entendait les voix de la télévision, puis le carillon de l’écran que l’on éteignait, le bruit de la porte d’entrée dont sa mère vérifiait le verrou avant de faire sa toilette du soir, une voiture qui passait dans la rue, un garçon qui parlait fort, qui insultait quelqu’un…

Julie frissonna. Un soir qu’elle était dans la cuisine avec sa mère, ils avaient entendu des cris, un couple qui se disputait, et la famille qui intervenait. Comme elle essayait en vain de voir ce qui se passait par la fenêtre, sa mère lui avait dit : « Tu ne veux pas savoir ce qui se passe la nuit dehors… »

Seulement voilà : Julie voulait savoir. Le calme était revenu. Plus personne ne parlait, et aucune voiture ne passait plus. Un craquement tonitruant au plafond – juste la charpente qui travaillait. Le lave-vaisselle qui se mettait en marche.
Julie s’imaginait déjà se glisser tout doucement dans le couloir jusqu’à la porte d’entrée, déverrouiller et jeter juste un petit coup d’œil dans la rue depuis le jardin. C’était sans aucun danger : les grilles étaient hautes étroites et solides, et il y avait le mur et les haies. Même une apocalypse de zombies n’auraient pu les passer, et puis, elle n’aurait pas de lumière qui pourrait trahir sa présence ou ses mouvements.

Julie descendit souplement du lit, renfila un pantalon, ses baskets et une veste par-dessus son tee-shirt, et mit son plan à exécution, la chair de poule à l’idée d’être surprise par ses parents. Elle fut vite rassurée en les entendant ronfler à qui mieux mieux derrière la porte de leur chambre. Elle déverrouilla la porte.

On voyait clair dehors. C’était une nuit de pleine lune, et les réverbères éclairaient aussi bien l’allée du jardin que la rue, parfaitement déserte. Vaguement inquiète à l’idée de tourner le dos au côté obscur du jardin, Julie s’enhardit et avança à pas lents jusqu’à la grille du petit portail. En face, il y avait le portail du voisin, et à gauche, la petite rue donnait sur une avenue bordée d’immeubles résidentiels à étages. Toujours personne. Toujours aucun mouvement – cela en devenait surréaliste, pensa Julie.

Puis, juste au moment où elle se disait qu’elle en avait assez vu et qu’elle ne tarderait plus à avoir sommeil – les réverbères s’éteignirent !

Julie avait sursauté. Elle n’osait plus faire un geste, elle retenait sa respiration : une panne d’électricité ? Puis, comme ses yeux s’habituaient, elle distinguait à nouveau les murs blafards et les fenêtres aveugles, le dessin des pavés imbriqués du trottoir, le goudron craquelé de la rue et la plaque d’égout toute proche. Aucun zombie dehors.

Julie se retourna vivement. Aucun zombie dans le jardin. Julie se hâta de rejoindre sa porte d’entrée. Mais comme elle arrivait devant sa porte, elle s’arrêta net : la première marche du perron lui arrivait aux genoux, et continuait de s’élever dans les airs – et un vide toujours plus grand s’ouvrait entre le sol et le bas de sa maison.

Julie était médusée : incapable de prendre une décision, incapable d’appeler à l’aide – incapable de croire à ce qu’elle pouvait pourtant voir de ses propres yeux… à moins que tout cela ne soit un rêve. Elle se demanda alors ce qu’elle pouvait faire pour s’assurer que c’était bien un rêve : se pincer ? Non, ça c’était pour sortir du rêve. Fermer les yeux et crier « réveille-toi ! »

Le temps qu’elle y réfléchisse, sa maison lévitait déjà au-dessus de sa tête, ainsi que le garage et la remise. Elle voyait à présent de l’autre côté le reste du jardin baignée par la clarté lunaire – la balancelle et la petite maison en plastique, ainsi que la voiture de son père qui était restée garée dehors prête à sortir par le grand portail.

Alors elle réalisa que ce n’était pas que sa maison à elle qui s’envolait, mais toutes les maisons du quartier, et les grands immeubles de l’avenue aussi. Elle eut un grand frisson – et réalisa soudain qu’il faisait froid. Elle n’avait pas les clés de la voiture de son père – et il n’était pas question qu’elle aille se réfugier dans la petite maison en plastique, cette dernière était remplie d’araignées et les chats y faisaient pipi dedans ! La balancelle n’avait aucun coussin – ils étaient rangés dans la remise – et elle n’avait pas non plus les clés des portails.

« Hé ! » fit une voix de garçon dans son dos.

Julie se mit immédiatement en garde : ses leçons de Karaté auraient fini par lui servir à quelque chose ! Il y avait un garçon de son âge perché sur le portail comme un genre de gros chat…

Et comme Julie ne disait rien, le garçon déclara : « Tu ne devrais pas passer la nuit-là : les nouvelles maisons vont arriver, et les nouveaux habitants vont se demander ce que tu fiches dans leur jardin. »

Il tendit une main, et de l’autre lui fit signe de s’approcher pour grimper et sauter le portail.

Julie finit par lâcher, peu aimable : « Et toi, qu’est-ce que tu fiches là ? »

Le garçon répliqua, avec une pointe de mépris, tout en montrant du doigt ses oreilles – qui pointaient franchement : « C’est la Pleine Lune, t’as pas encore pigé que je suis loup-garou ? »



A SUIVRE

Tous droits réservés texte et illustration David Sicé, achevé le 3 juin 2016.
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Re: Le Marathon Fantastique de l'Eté 2016

Messagepar Greenheart » Dim 5 Juin 2016 23:05

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ALICE ET LES ZOMBIES

(aka "The Walking Alice")

....Une terrible nouvelle Fantastique de Doug Greenheart !





Alice jouait avec Dinah au pied de l’écran plat géant dernier cri que ses parents avaient récemment installé dans le salon. Ayant en conséquence décidé de s’économiser le salaire de la nounou, les chers parents avait décrété que Alice était désormais assez grande pour se garder elle-même, et avaient souscrit en sus du bouquet numérique gratuit, un abonnement aux chaînes pour enfants et adolescents plus ou moins attardés.

Et c’était donc ainsi que la jeune Alice avait passé en revue les canaux à trois chiffres que Papa et Maman lui avaient assez lourdement suggérés, sans prendre garde qu’en « cadeau » de bienvenue, Waou!pluricable avait offert la gratuité de l’intégralité des chaînes proposés – qui comprenaient les programmes plus adultes et franchement déconseillés aux petits chatons. Peu satisfaite de la sélection vue et revue des chaînes Disniais, en particulier après avoir réalisé que Disniais +1 n’était rien d’autre que Disniais, une heure après, Alice, bien consciente qu’il était de son devoir de fillette bien sage de ne pas trahir la confiance de ses parents, s’était lancée dans la délicate tâche d’apprendre à Dinah comment utiliser la télécommande… car il était, aux yeux d’Alice, très important qu’une maman comme elle apprenne à choisir les bons programmes pour ses chatons.

Mais malgré la leçon et les récriminations, Dinah zappait toujours sur les mauvaises chaînes : d’abord ce fut du foot, et encore du foot, et toujours du foot… Puis des chaînes de publicités en continue : U-télé, Bauf-FM-télé… Comme si quelqu’un devant sa télévision pouvait oublier qu’il était devant sa télé !

Quand soudain, à la faveur de deux coups de pattes trop rapides et d’une tentative par trop précipité d’Alice de corriger le choix de Dinah d’une chaine où les êtres humains ne porteraient pas de vêtements, un peu comme elle et ses chats, mais certainement pas comme il convenait pour une jeune fille bien sage comme Alice - un programme beaucoup plus éducatif s’affichait sur l’écran géant haute définition.

Alors Alice s’émerveilla : quelle chance ce serait, Dinah, si moi aussi je pouvais voyager à travers l’Amérique, avec une bande d’adultes gentils, qui m’apprendraient à tirer comme au Far-West et aussi à pêcher, faire du feu et utiliser une pioche, et à jouer au Base-Ball. L’Amérique, c’est tellement grand, tu sais Dinah, qu’on peut avoir la route pour soi tout seul jusqu’à l’horizon… Et aussi des grandes maisons où l’on peut rentrer comme chez soi parce que tout le monde laisse la porte ouverte, parce que l’hospitalité, c’est important là-bas ! Oh Dinah, regarde comme c’est magnifique ce coucher de soleil, et comment ils sont bricoleurs : ils fabriquent de nouveaux volets pour la maison avec des planches et des bouts de meubles!

Alice fronça tout de même ses fins sourcils, et crut bon de faire la leçon à sa chatte : « Ah ça, Dinah, il ne faudra jamais le faire ici : que diraient Papa et Maman si l’on cassait notre beau piano à queue ? » Puis la jeune fille se retourna vers l’écran plat, préoccupée par une question prodigieusement existentielle : « Mais comment vont-ils faire après s’ils veulent jouer du piano ? » Et cette question la préoccupait tellement que la jeune fille se leva, et déclara : « Hé bien, nous n’avons qu’à leur poser la question… »

Elle se retourna vers Dinah, qui fixait la jeune fille avec ses grands yeux jaunes, de l’air de dire… « Je sais ce que tu vas me dire, Dinah : une télévision, ce n’est pas si différent d’un grand miroir ; et puis, cette télévision est toute neuve, il n’arrivera pas ce qui est arrivé au grand miroir du salon la dernière fois que j’ai voulu le traverser… »

La chatte lança un miaulement désapprobateur. Alice se retourna vers l’écran plat et répondit : « Hé bien, puisque tu es d’accord, c’est décidé : je vais aller leur dire, moi, à ces américains, qu’il ne faut pas casser les beaux pianos, même pour faire de nouveaux volets aux fenêtres et… tirer la corde à piano en travers des couloirs ? »

La curiosité d’Alice était définitivement piquée. La jeune fille grimpa sur le rebord du meuble bas qui supportait l’écran géant, posa sa main avec précaution sur l’image ultra-haute définition 4K haute fréquence 3D réelle, et alors même que la caméra montrait une vue générale de la grande maison isolée à la nuit tombée, Alice bascula à travers l’écran…

… pour atterrir le nez dans une énorme flaque de boue. « Oh non ! » s’écria la jeune fille : ma belle robe est toute tâchée et ma figure aussi, et… » Elle se racla la gorge et toussa plusieurs fois avant d’ajouter d’une voix toute rauque : « J’ai comme un chat dans la gorge… » Alice grimaça et râla : « j’essaierai bien de recracher ce qui est entré dans ma bouche, mais… heu-heu, ce ne serait pas convenable… » Elle sortit alors de la poche de son tablier son mouchoir, seulement pour constater l’horreur de sa situation : « Mon mouchoir est déjà tout sale ! Je ne peux pas décédément mettre ma bouche dedans ! »

Puis elle réalisa qu’elle avait devant elle une maison plein d’amis très ingénieux, et se mit en marche – mais à peine avait-elle fait un pas qu’un de ses talons se cassaient ! « Oh non, heu, heu… Et je ne peux même pas retirer mes chaussures parce que c’est si sale ici – et il y a des trous partout, je ne peux même pas y aller à croche-pieds… Oh l’Amérique c’est pas du tout comme je me l’imaginais… »

C’est alors que le vent tourna, apportant une odeur pestilentielle : « Rheu, rheu… hrrrr… mais ça sent vraiment très mauvais en plus… » Alice avait beau chercher, elle ne voyait pas ce qui pouvait puer autant – un peu comme une poubelle de la cuisine qu’elle avait caché plusieurs semaines avec les autres pour ne pas avoir à la sortir la fois où ses parents avaient décidé de s’économiser les services de leur cuisinière et de la bonne, et aussi un peu comme la première et la dernière fois où ils avaient mangé chez cette chaîne de restauration rapide écossaise et qu’elle avait dû aller aux toilettes parce qu’elle avait eu envie de se laver les mains après. Et aussi un peu comme aux toilettes de la maison quand Alice avait eu envie d’aller faire la grosse commission après être rentrée du restaurant.

Et en comble de malheur, voilà que l’odeur lui avait ramené son asthme !

J’espère au moins qu’ils ont de la Ventaline, pensa Alice en tambourinant à la porte, puis à chacun des volets comme on ne lui ouvrait pas ! Et quand enfin, une voix de femme demanda : « Qui est là ? », Alice répondit, soulagée et aussi un peu agacée que ces américains aient mis tant de temps à lui poser la question : « rrrrrrh….rrrrrrrh…. hrrrrrrrrh… hhhhhh ! » Et elle se demanda comment on faisait la révérence en Amérique ? La réponse ne tarda pas à lui traverser l’esprit, et Alice la trouva injuste, choquante et déplacée.

Et c’était sans doute aussi l’avis de Dinah, qui d’un coup de patte indigné sur la télécommande, retourna sur la chaîne de Disniais +1, où une blondasse chantait en tournant et congelant toute âme qui vive à des kilomètres à la ronde : « Libéréééééééééé… »

Et la chatte se mit à ronronner en réponse.

RRRHH FIN !

Tous droits réservés David Sicé, achevé le dimanche 5 juin 2016.
Illustration détournée d'une image promotionnelle de la série télévisée The Walking Dead sur AMC et d'un poster du premier Alice au pays des Merveilles de Tim Burton de chez Disney dans le cadre juridique d'une parodie
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Re: Le Marathon Fantastique de l'Eté 2016

Messagepar Greenheart » Jeu 18 Aoû 2016 18:55

Et en avant-première de...

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TOUS DES BÊTES


... une très horrible nouvelle fantastique de David Sicé.


Pour adultes et adolescents.



Natacha arracha l’ourse en peluche des mains du bambin, qui se mit aussitôt à pleurer à chaudes larmes. L’assistante de maternelle ne comprenait pas, et même s’indignait : « Comment pouvez-vous faire des choses pareille ? »

La jeune femme, qui avait ramassé son fils d’une main et son cabas de l’autre, fit volte-face, vociférant pour couvrir les pleurs du petit bout-de-chou, qui montaient désormais, un peu à la manière d’une alarme incendie : « Non ! Comment pouvez-vous faire une chose pareille ! Les ours sont des bêtes sauvages : ils mangent les gens, ils mangent les enfants, et ils commencent par leur visage et après ils leurs arrachent la peau du ventre et leur dévorent les intestins en tirant dessus, alors qu’ils sont encore vivants !!! »

Les petits enfants encore présents dans le couloir de la maternelle se mettaient à pleurer à leur tour, et la professeure des écoles, Lisa-Beth, voyant venir le moment où l’assistante de maternelle en collait une à la parente d’élève, intervint en tirant la dame par la manche de sa blouse : « Laissez tomber Raïssa, vous voyez bien que c’est une folle… »

Outré, Natacha quitta les lieux sans plus attendre, regagna son énorme quatre-quatre parqué sur le trottoir et démarra en trombe, manquant d’écraser une autre maman et son bébé. La maman l’insulta copieusement, mais on n’entendait rien à travers les vitres épaisses. À l’arrière, le bambin soigneusement attaché s’était instantanément calmé, suçant sa compote de pommes et le bavoir tâché qui lui tenait lieu de doudou sur les genoux.

***

Natacha soupira, puis alla se garer sur le parking du collège de sa fille aînée : elle n’en avait pas terminé avec sa journée. Elle prit le temps de vérifier son maquillage, de récupérer un livre de poche tout corné dans la portière ; puis, poussant son bébé soigneusement ceinturé, l’air farouche et décidée, elle ignora superbement le surveillant censé empêcher les gens de passer le portail, et alla droit en direction de la salle des professeurs, où elle était censée rencontrer la professeur de français et professeur principale de Chloé.

Personne ne l’arrêta. Dans le hall, Natacha faillit même se retrouver face à la Conseillère Principale d’Éducation, qui en l’apercevant tourna des talons et courut se réfugier dans son bureau. Natacha entra dans un grand bang, celui de la lourde porte heurtant violemment le mur du côté des casiers des professeurs.

Émile Leroux, professeur de sport grand et baraqué dans la force de l’âge, crut d’abord que c’était l’un de ses c…rds de quatrième qui avait osé ouvrir la porte d’un coup de pied – mais réalisant son erreur, fit un bond arrière pour éviter de se faire rouler dessus par la poussette. Natacha alla droit sur la professeur de français et la gifla avec le livre de poche – un exemplaire de l’œil du Loup de Daniel Penac.

« Comment, hurla-t-elle de sa voix qui montait dans les aigus au point de vous coller une migraine pour le reste de la soirée et même la nuit qui suivait, osez-vous faire lire ce torchon répugnant à vos élèves ? »

Et sans laisser le temps de répondre à la professeur de français, qui réalisait en tremblant qu’elle avait désormais la lèvre fendue et saignait, Natacha reprenait, véhémente : « Les loups sont des monstres : ils vous déchireraient les tendons d’Achille pour vous empêcher de courir ! ils vous arracheraient la gorge la gorge, et pendant que vous pisseriez le sang à cinq mètres, ils vous fourreraient le museau sous la jupe pour vous arracher… »

Mais Natacha se sentit soudain prise à bras le corps et soulevée. Elle avait beau crier et gesticuler, Monsieur Leroux l’emmena ainsi jusqu’au portail et la jeta dehors, tandis que le surveillant s’empressait de refermer derrière Chloé, qui poussait désormais son petit frère. La jeune fille mortifiée s’excusa du regard.

Dans la salle des professeurs, la professeure de français sanglotait, tandis qu’une collègue lui tendait de nouveaux mouchoirs en papier pour remplacer ceux tout sanguinolent qu’il fallait jeter. À l’entrée de la salle des professeurs, la Conseillère Principale d’Éducation remarquait que la parente d’élève ne lui avait pas cassé de dents, il ne fallait donc pas en faire un drame. Et comme on lui montrait le livre de poche, elle ajouta que ce n’était pas un si bon livre que cela, et que s’il choquait un parent, il valait mieux le retirer de suite des cours et du centre de documentation.

***

Remontée dans son quatre-quatre, Natacha reprit sa respiration ; se recoiffa ; ordonna à sa fille de vérifier si elle s’était bien attachée et si le petit Nicolas l’était aussi. Puis elle démarra. Le parking et la route étaient désert à présent que le dernier car scolaire avait quitté les lieux. Et comme le quatre-quatre montait le long de la colline le long de la route qui serpentait, toute bordée d’arbre épais, la nuit tombait peu à peu.

Ils passèrent le grand portail du lotissement. Puis le portail beaucoup plus haut, solide et garni de pointes de leur propriété. Puis ils attendirent que la porte du garage se soulève complètement, avec son gyrophare et son alarme bruyante dont les voisins se plaignaient à l’autre bout du lotissement. Puis, une fois dans le garage illuminé, ils attendirent que la porte redescende. Natacha prit alors bien garde de regarder de tous les côtés, dans les rétroviseurs et sur l’écran des caméras arrières. Enfin, mais en gardant la main serrée sur la poignée du grand couteau qu’elle cachait dans son sac à main, elle descendit et autorisa Chloé à défaire sa ceinture de sécurité et celle de son petit frère.

Arrivait le meilleur moment de la journée, celle où après s’être assurée que Chloé était bien à faire ses devoirs et Nicolas dans son parc, elle préparait à manger pour ses enfants, et pour son mari, qui rentrerait plus tard. À cet instant, tous les gestes de la jeune femme étaient apaisés. Le micro-ondes lancé, elle fit le tour du salon pour s’assurer que tous les volets électriques étaient bien descendus. C’était le cas.

Alors elle prit la direction de la chambre de Nicolas, qu’elle baignerait brièvement avant de nourrir. Un souffle de vent froid souleva une mèche de ses cheveux. Natacha s’arrêta net, et pivota lentement. Elle rebroussa chemin. Sentit de nouveau le vent froid, cette fois sur ses jambes et ses bras nus… Son cœur sauta un battement : le vent froid venait de la porte close de la chambre de Chloé.

Natacha sentit la colère monter : elle avait pourtant dit à Chloé de ne jamais fermer la porte de sa chambre, et de ne jamais ouvrir la fenêtre sans son autorisation. Et si sa fille attrapait bêtement un rhume ? Avec le concours de danse pour dans deux jours, ce serait la catastrophe : on n’a jamais vu une ballerine qui renifle et avec des yeux rouges… Natacha ouvra grand la porte, mais l’admonestation cinglante s’étrangla dans sa gorge.

Le loup, grand, décharné, la gueule couverte de sang et de lanières de chair releva la tête de son festin et le fixa de ses deux beaux grands yeux dorés.

Natacha referma la porte et courut jusqu’à la porte – grande ouverte – de la chambre de son petit Nicolas. Indemne, dans son parc, le tout petit garçon était aux anges et babillait, essayant de caresser le très joli ourson bien vivant qui se roulait sur le matelas…

La mère de l’ourson balança alors un coup de pattes magistral en pleine figure de Natacha, et, la retournant comme une crêpe, entreprit de lui dévorer le visage.

***

Pendant ce temps, les ours à qui appartenait la maison avaient fini de faire leur promenade avant le dîner et ils rentraient chez eux. Dès qu’ils eurent poussé la porte, ils sentirent que quelqu’un était venu et ils se mirent à fouiller dans la pièce en reniflant partout…

Lisa-Beth interrompit sa lecture et demanda à l’assistante maternelle : « Oui, qu’est-ce qu’il y a, Raïssa ? »

La dame répondit : « C’est juste pour vous dire que Nicolas n’est pas là aujourd’hui et que sa mère n’a pas téléphoné pour prévenir ou l’excuser. Vu le cas que c’est cette fille-là, je serais vous je lui collerais les services sociaux au cul, passez-moi l’expression… »

Lisa-Beth se mordit les lèvres : elle avait autre chose à faire ce jour-là qu’encore plus de paperasserie. Aussi répondit-elle : « Mais vous n’êtes pas moi, Raïssa. Et on ne va pas faire venir la police à chaque fois qu’une parente a un pet de travers et garde son enfant à la maison. Mais merci quand même. »

Et au même moment, dans un collège voisin, la Conseillère Principale d’Éducation criait depuis son bureau : « La petite Chloé, ses parents ont prévenu qu’elle serait absente aujourd’hui ? »

On lui cria de l’accueil de la Vie Scolaire la réponse négative, et la jeune femme cliqua sur son écran en soupirant : « Alors j’envoie un S.M.S. à ses parents. Qu’est qu’ils nous auront fait chier ceux-là ! »


LA FIN DANS LE MONDE

Tous droits réservés David Sicé, achevé le 18 août 2016.


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