par Greenheart » Mer 11 Mai 2022 15:14
Reçu le blu-ray français Gaumont.
Image 2:35 1080/24p : correcte limitée. L'image est virée au bleu -- il parait que certains studios marquent ainsi les films qu'ils restaurent, au mépris des droits d'auteurs et du travail du directeur de la photographie. L'image est également poudroyante tout le long du film ce qui gomme tous les détails HD fin en particulier dans les scènes sombres. Le générique donne l'impression d'être en définition standard parce que les titres n'ont pas été refaits et dès lors l'image est dégradé par le procédé original qui consistait à photographier les titres sur l'image, superposant les grains des deux pellicules sources. De mémoire, la projection est moins agréable qu'avec le DVD espagnol. Je crains qu'il ne faille investir dans le blu-ray allemand pour vérifier si une meilleure compression, et des corrections ont pu améliorer cette déception visuelle.
Son : français DTS HD MA 5.1 48 Hz et stéréo 2.0. Si la profondeur de la sphère sonore est apparemment satisfaisante sur certaines scènes musicales, le son des dialogues, à l'instar de l'image est trouble. Là encore le DVD espagnol m'avait laissé un meilleur souvenir, il faudrait que je le revisionne.
Bonus : correct, cependant le reportage d'époque (qui n'indique pas le nom des interviewés) contient à mon sens beaucoup d'indices sur la réalité du tournage, et le pourquoi et le comment de la réussite de ce film de Science-fiction. interview du réalisateur Didier Grousset "au cœur du cinéma" 25 minutes, 16:9 1080/24p français DTS HD MA 2.0 48khz ; "Opération Kamikaze", un reportage d'époque avec des images de tournage et des explications de Besson et Didier Grousset jeune, qui là ressemble davantage à un rugbyman (voir plus bas) avec un accent du sud-ouest plus marqué, avec là encore quasiment rien sur le fond du film. Bohringer explique d'abord que l'attitude est toujours la même quelque soit le film (donc peu importe le sujet), puis déclare que c'est un film de montage, il faut plus de "mordant", et "de l'humilité parce qu'il y a beaucoup de plans qui ont l'air de rien", "être aussi pointu que dans une comédie" ; la bande annonce. Conseil à un jeune acteur : "cherche pas à comprendre." Dominique Lavanant laisse échapper un "maintenant je ne discute plus" et explique qu'elle "cède à l'envie d'image" du réalisateur, et on sent dans les insultes improvisées pour une scène quelque part quelque chose qui n'est pas de l'amour. Je n'ai pas vu la troisième scénariste du film, Michèle Pétin (Michèle Halberstadt au générique), apparemment l'épouse ou la sœur d'un des producteurs Laurent Pétin, qui n'a signé le scénario que d'un seul autre film, et a surtout coproduit. Les autres scénaristes Besson (producteur) et Grousset (réalisateur) apparaissent qui semblent ne pas s'intéresser au scénario : ont-ils choisi de laisser parler Galabru pour ne pas avoir à donner un avis sur des thèmes dérangeants de l'auto-justice, du terrorisme, de l'hubris, la folie, ou comment les médias et la société française peuvent pousser à bout les gens. Le reportage montre aussi clairement que Galabru s'investit considérablement dans son rôle, pour atteindre dans les plans du reportage, mais pas dans le montage final --- cherchez l'erreur --- presque l'envergure d'un Jack Nicholson dans Shining, qui disposait alors d'un scénario, d'un monteur et d'un réalisateur et entouré d'acteurs au niveau maximal de ce qui peut se faire au cinéma, à l'évidence pas le niveau de la production de Kamikaze malgré un excellent sujet.
Par contre, Galabru soit disant psychopathe, est le seul à raisonner sur le thème de Science-fiction, le seul à admettre que l'assassin est un génie, et se poser des questions sur la vraisemblance, sur les liens factuelles entre le génie et la folie, l'aptitude à inventer et la psychopathie, qui consiste à considérer les autres comme pire que soi. Galabru est simplement le seul qui apparemment a fait un travail sur son rôle au lieu de jouer les potiches et répéter ses lignes devant une caméra sans rien y comprendre, en s'en foutant. Cela explique en fait pourquoi le réalisateur qui semble un "faiseur" redoutait Galabru, qui passait à ses yeux pour un "fou", un psychopathe, simplement parce que lui avait pris la peine de comprendre le sujet du film, son rôle, et de se battre si nécessaire pour que ce qui à lui paraissait plausible ne soit pas détruit par le je m'en foutisme. Toutes choses que je déduis car aucun de ces professionnels ne l'ouvrent sur ce qui se passe réellement pendant le tournage, pourquoi une majorité s'en fiche du fond du film, et pourquoi Galabru ne s'en fiche pas : "l'assassin est quelqu'un qui fait une représentation, c'est ça qui est intéressant" et de rappeler qu'au théâtre au cinéma le public applaudirait presque à chaque mort. Et là, Galabru touche du doigt un point extrêmement important à la fois philosophique et politique de la réalité, dont personne d'autre que lui ne semble avoir conscience, ou ne semble avoir envie d'évoquer dans le reportage, ou dans l'interview du réalisateur, et que l'on peut rapprocher d'autres films de prospective français, tels Armaguedon 1977 ou Paradis pour Tous. Curieusement, dans ce reportage d'époque, Grousset crédite Galabru pour avoir permis de "faire ces choses-là", tandis que dans son interview plus récent, il parle de Galabru comme d'un frein, un mégalomanique. J'oserais parier que Grousset ne comprenait pas ce qu'il était en train de tourner, et qu'il a cru se servir de la personnalité réelle de Galabru pour facilement faire passer à l'écran une personnalité psychopathe. Besson semble dire quant à lui qu'il n'a servi qu'à réaliser les plans de la seconde époque, donc pas le principal du film. Le storyboardeur est également interviewé et lui aussi semble savoir de quoi parle le film et être dévoué à être au service du récit.
En conclusion : le transfert du blu-ray Gaumont n'est pas suffisamment bon et dessert le film, les anecdotes du tournage de l'interview du réalisateur ne sont pas extraordinaires : qui a rencontré qui, qui a fait quoi, comme si Grousset aujourd'hui confondait toutes les productions auxquelles il a participé pour n'évoquer que des généralités. Le passage sur les caprices des stars (surtout ne pas contredire Galabru, sinon "cela ne marche pas") est édifiant une fois confronté au bonus Opération Kamikaze qui livre des prises de vue brut de décoffrage.
Didier Grousset est également scénariste, mais il ne dit rien sur le fond du film, sur les thèmes ou à quels autres récits ou problèmes de société auxquels il peut faire référence, et de là la pertinence du film et à quel point il peut toucher son public, comme si ni le public, ni le contexte, ni l'art, ni la société ne comptaient en fait dans son travail de "metteur en images". J'en déduis que Grousset n'a aucune culture SF, voire aucune culture littéraire ou cinématographique. Or nous savons que Besson en a une, il est fort plausible que le storyboardeur est également instruit en la matière, et compte tenu de sa carrière et de son âge, Galabru a forcément eu un parcours humaniste - une culture philosophique avancée et une maîtrise de la littérature française longuement pratiquée.
Grousset a peut être été recruté pour ses ignorances, afin de ne pas contredire par exemple Besson sur à quoi devait ressembler le film, et de son propre aveu déclare avoir tourné ce film comme il aurait tourné n'importe quel autre et lorsque son père lui dit "tu fais un métier de branleur", Grousset confirme, mais avec beaucoup de sérieux. Grousserdéclare aussi "quand on a travaillé avec Besson, on a forcément des influences". Lesquelles ? je me le demande. On dirait qu'il n'a décroché sa carrière de réalisateur que parce qu'il avait des copains du sud-ouest rugbymen et qu'il pliait devant les "stars" et autres gens plus importants pour ne pas risquer d'être harcelé ou viré, une attitude qui facilite sans doute davantage la médiocrité créative et la dictature des égo plutôt qu'une création qui dépasserait par la conjonction des imaginations et des compétences le talent de chacun des participants à la production. Je suppose aussi que les élites françaises de la production cinématographique comme beaucoup d'autres ont d'abord peur que la production d'un film tourne au chaos : ils ont alors besoin d'acteurs marionnettes, et de petits personnels "moutons", suiveurs, voire carpettes.
Si l'on consulte les différents bonus des blu-rays Gaumont ou des blu-rays Criterion, il me semble aussi que la fabrication du cinéma français depuis l'Occupation jusqu'aux années 1980 n'était pas toujours aussi servile, prompt à taire ou dénigrer le génie et l'investissement personnel des uns ou des autres ou de tous dans la cause du film. Il faut de réelles compétences et une vision partagée pour synchroniser une équipe de talents, qui n'ont pu se construire qu'à force de volonté et d'esprits critiques, et ce sont ces compétences et cette vision qui manquent aux producteurs marionnettistes et despotes, qu'ils produisent au final des films intéressants ou de la daube kilométrique pour remplir des écrans vides.
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...d'un G qui veut dire Greenheart !