Le manuscrit trouvé à Saragosse, le roman de 1810

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Le manuscrit trouvé à Saragosse, le roman de 1810

Messagepar Greenheart » Sam 27 Jan 2024 08:09

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Le manuscrit trouvé à Saragosse (1810)

Ce roman est dans le domaine public.

Attention, il existe au moins quatre versions françaises originales de ce roman, davantage en comptant le texte variable des éditions françaises imprimées. Autre titre : La Duchesse d’Avilla, Dix journées de la vie d’Alphonse Van-Worden.

Inachevé en 1794 puis 1804,
Achevé en 1810,
Sorti en France en 1814 sous le titre Dix journées de la vie d’Alphonse Van-Worden (plusieurs tomes) chez GIDES FILS, PARIS FR.
Traduit en français moderne par Roger Caillois en janvier 1967, en 1989 chez José Corti FR, en juin 1993 au LIVRE DE POCHE CLASSIQUE FR
Réédité en juillet 2000, en juin 2002 chez GALLIMARD FR, réédité en avril 2007 (éditions incluant possiblement un DVD du film de 1965) ;
En janvier 2008 chez GARNIER FLAMMARION en deux volumes : version de 1804 et version de 1810 ;
Auto-édité en version électronique en décembre 2017 sous Adobe DRM.

Adapté en film polonais en 1965 par par Wojciech Has ;
Adapté en 1973 en mini-série de quatre épisodes par Philippe Ducrest pour l’ORTF 2 FR.
Adapté en opéra Manuscrit trouvé à Saragosse, opéra, livret d'Alexis Nouss, musique de José Evangelista ;
Adapté en film italien en 2017 Agadah par Alberto Rondalli.

Du Comte Jan Potocki (prononcez Yann Pototski-i).

Pour adultes et adolescents.

(prospective, apocalypse) En tentant de traverser les montagnes de la Sierra Morena, en Andalousie, Alphonse Van Worden, un officier de la garde Wallonne compte s’arrêter à un relai de Malleposte, mais son serviteur disparaît avec ses provisions devant lequel deux brigands tziganes réputés vampires ont été pendus...

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Spoiler : :
Attention, Le Manuscrit trouvé à Saragosse donne l’impression d’être un récit à clés avant d’être un récit picaresque, écrit par quelqu’un d’exceptionnel disposant à la fois de l’expérience de terrain de son époque, d’une culture littéraire polyglotte non seulement classique et occulte – et rédigé en français dans le texte. Autrement dit, c’est le genre de livre à lire absolument dans sa version écrite la plus fidèle — ou dans l’une ou plusieurs ses versions écrites les plus fidèles — à la main donc la pensée de l’auteur. A ce titre, la version gratuite téléchargeable légalement d’un des « manuscrits » sur Gallica, c’est-à-dire un texte imprimé titré et corrigé à la main, est déjà hautement recommandée.

Vous pouvez directement vous lancer dans ce roman de fantasy (urbaine) des années 1810 — bien plus accessible que ses adaptations filmées. Si le manuscrit de 1810 du manuscrit trouvé à Saragosse suit encore les règles de l’orthographe et de la ponctuation de la fin du 18ème siècle, celles-ci ne font pas obstacle, tandis que l’aventure horrifique au rythme, à l’humour et aux inventions tout à fait moderne, vous emportera sans coup férir. L’édition la plus complète serait celle en deux volumes (1804 et 1810) chez Flammarion mais je n’en dispose pas encore. La première version inachevée est incluse dans une série de volume censés publier l’intégrale des écrits de Jan Potocki.

L’adaptation polonaise de 1965 semble très fidèle, elle est exceptionnelle à plus d’un titre, peut prendre aussi bien des allures de fantasy japonaise des années 1950-60 tandis que ce qui arrive à un moment du film se retrouve l’air de rien à l’écran sous d’autres angles dans d’autres scènes. Elle est recommandée en particulier dans ses blu-ray restaurée, En revanche, la mini-série française intitulé La Duchesse d’Avilla, le titre alternatif du roman, — édité en DVD par l’INA dans une version à l’image et son seulement partiellement restaurée — force au contraire la dose d’artificialité et de maniérisme sans que l’on retrouvre la charpente et le bon sens de l’aventure original, et égare le spectateur sans raconter, — effaçant il me semble tous les efforts de l’auteur original pour construire un récit où le surnaturel est sous-tendu par certaines lois et où les protagonistes ne sont pas que décoratifs.

Le manuscrit trouvé à Saragosse n’a rien à voir avec le Décaméron ou les Mille et une nuit auquel que le roman en français dans le texte est censé imiter : il s’agit encore une fois d’un véritable récit de fantasy original d’époque, — déclaré inclassable parce que les critiques ignorent ou ignorait ce qu’est la Fantasy, — écrit par quelqu’un qui a connu cette époque et ce genres de personnages, probablement inspiré par les légendes locales. Ce fut également un des pionniers de la littérature de voyage, un soldat et un ingénieur, et un parlementaire lithuanien-polonais, expert en occultisme, diagnostiqué atteint de lycanthropie réelle – il était persuadé de se transformer en loup, et il meurt meurt mystérieusement, en 1815, officiellement suicidé par balle : rien que la vie de Jan Potocki ferait un extraordinaire roman et film ou série épique merveilleux réaliste et probablement fantastique.

Noter que les extraits suivants tentent de reproduire l’exacte typographie, — composition, orthographe et ponctuation des .pdf des textes originaux disponibles gratuitement en ligne, mais le texte HAL me semble ne pas être conforme et remplacer certains signes originaux par des conventions informatiques, type :/ à la place des parenthèses, sans compter à plusieurs reprises le non respect de la conjugaison de l’époque qui semble être systématique dans d’autres éditions (« était » pour « etoit » ou « êtoit »). A ces erreurs des éditeurs, je peux avoir ajouté moi-même des erreurs de saisie, les corrections dans cette situation ne pouvant se faire qu’à vue.


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L’Avertissement de Jan Potocki de l’édition de 1814 de GIDES ET FILS PARIS FR.
Tome 1 des Dix journées de la vie d’Alphonse Van-Worden

Téléchargeable gratuitement sur Gallica ici.

OFFICIER dans l’armée française , je me trouvai au siége de Sarragosse. Quelques jours après la prise de la Ville, m’étant avancé vers un lieu un peu écarté , j’aperçus une petite maisonnette assez bien bâtie , que je crus d’abord n’avoir encore été visitée par aucun Français.
J’eus la curiosité d’entrer. Je frappai à la porte ; mais je vis qu’elle n’étoit pas fermée ; je la poussai , et j’entrai. J’appelai , je cherchai , ne trouvai personne. Il me paraût qu’on avoit déjà enlevé tout ce qui avoit quelque valeur ; il ne restoit sur les tables et dans les meubles que des objets de peu d’importance. Seulement j’aperçus par terre , dans un coin , plusieurs cahiers et papier écrits ; je jetai les yeux sur ce qu’ils contenoient. C’étoit un manuscrit espagnol ; je ne connoissois que fort peu cette langue ; mais cependant j’en savois assez pour comprendre que ce livre pouvoit être amusant ; on y parloit de brigands , de revenans , de cabalistes , et rien n’étoit plus propre à me distraire des fatigues de la campagne , que la lecture d’un roman bizarre. Persuadé que ce livre ne reviendroit plus à son légitime propriétaire , je n’hésitai point à m’en emparer.
Dans la suite, nous fûmes obligés de quitter Sarragosse. M’étant trouvé par malheur éloigné du corps principal de l’armée , je fus pris avec mon détachement par les ennemis ; je crus que c’en étoit fait de moi. Arrivés à l’endroit où ils nous conduisoient , les Espagnols commencèrent à nous dépouiller de nos effets ; je ne demandai à conserver qu’un seul objet qui ne pouvoit leur être utile , c’étoit le livre que j’avois trouvé ; ils firent d’abord quelque difficulté , enfin ils demandèrent l’avis du capitaine qui , ayant jeté les yeux sur le livre , vint à moi , et me remercia d’avoir conservé intact unouvrage auquel il attachoit un grand prix comme contenant l’histoire de l’un de ses ayeux. Je lui contai comment il m’étoit tombé dans les mains , il m’emmena avec lui , et pendant le séjour un peu long que je fis dans sa maion , où je fus assez bien traité , je le priai de me traduire cet Ouvrage en français ; je l’écrivis sous sa dictée.

DIX JOURNEES
DE LA VIE
D’ALPHONSE VAN-WORDEN
PREMIERE JOURNEE

*

Le texte du manuscrit de Jan Potocki conservé par la Bibliothèque Nationale de France, scanné pour Gallica.
Le .pdf gratuit téléchargeable sur Gallica se trouve ici :

Histoire d’Alphonse Van Worden
ou tiré d’un Manuscript trouvé à Saragosse


Le Comte d’Olivadèz n’avoit pas encore établi des Colonies étrangères dans la Siera Moréna ; cette chaîne sourcilleuse, qui sépare l’Andalousie d’avec la Manche, n’étoit alors habitée que par des contrebandiers, des bandits et quelques Bohèmiens qui passoient pour manger les voyageurs qu’ils avoient assassinés : et de là le proverbe Espagnol : “Las Gitanas de Siera Moréna quieren carne de hombres.”

Ce n’est pas tout. Le voyageur qui se hasardoit dans cette sauvage contrée, s’y trouvoit (disoit on) assailli par mille terreurs capables de glacer les plus hardis courages. Il entendoit des voix lamentables se mêler au bruit des torrents, et aux sifflements de la tempête, des lueurs trompeuses l’égaroient, et des mains invisibles le poussoient vers des abimes sans fond.

À la vérité quelques Ventas ou auberges isolées se trouvoient éparses sur cette route désastreuse ; mais des revenants plus diables que les cabaretiers eux mêmes, avoient forcé ceux-ci à leur céder la place, et à se retirer en des pays où leur repos ne fut plus troublé que par les reproches de leur conscience, sortes de fantômes avec qui les aubergistes ont des accommodements ; celui de l’hôtellerie d’Anduhar attestoit St. Jacques de Compostelle de la vérité de ces récits merveilleux. Enfin il ajoutoit que les archers de la St. Hermandad avoient réfusé de se charger d’aucune expédition pour la Sierra Morena, et que les voyageurs prenoient la route de Jaen ou celle de l’Estramadoure.

Je lui répondis que ce choix pouvoit convenir à des voyageurs ordinaires, mais que le Roi Don Phêlipe quinto, ayant eu la grace de m’honorer d’une commission de Capitaine aux gardes Vallones, les loix sacrées de l’honneur me préscrivoient de me rendre à Madrid, par le chemin le plus court, sans demander s’il étoit le plus dangereux.

„Mon jeune Seigneur , (reprit l’hôte) votre merçed
„me permetra de lui observer, que si le Roi l’a honoré
„d’une compagnie aux gardes , avant que l’âge eut hono
„ré du plus leger duvet le menton de votre merçed ; il
„seroit expédient de faire des preuves de prudence , or je
„dis que lors que les démons s’emparent d’un pays‟ . . .

Il en eut dit d’avantage, mais je piquai des deux et ne m’arrêtai que lorsque je me crus hors de la portée de ses remontrances ; Alors je me retournai et je le vis qui gesticuloit encore et me montroit de loin la route de l’Estramadoure. Mon valet Lopez et Moschito mon Zagal me regardoient d’un air piteux, qui vouloit dire à peu près la même chose. Je fis semblant de ne les point comprendre, et m’enfonçai dans les bruyères, où depuis l’on a bati la colonie appellée la Carlota.

À la place même où est aujourd’hui la maison de poste il y avoit alors un abri , fort connu des muletiers, qui l’appelloient : „Los Alcornoques — ou les chênes verts, parce que deux beaux arbres de cette espèce y ombrageoient une source abondante que recevoit un abreuvoir de marbre. C’était la seule eau et le seul ombrage que l’on trouvat dépuis Anduhar , jusqu’à l’auberge dite Venta-Quemada. Cette auberge étoit batie au milieu d’un désert, mais grande et spacieuse. C’était proprement un ancien château des Mores que le Marquis de Penna-Quemada avoit fait réparer, et delà lui venoit le nom de Venta-Quemada. Le Marquis l’avoit affermée à un bourgeois de Murcie , qui y avoit établi une hôtellerie la plus considérable qu’il y eut sur cette route. Les voyageurs partoient donc le matin d’Anduhar, dinoient à Los Alcornoques des provisions qu’ils avoient apportées, et puis ils couchoient à la Venta-Quemada ; souvent même ils y passoient la journée du lendemain, pour s’y préparer au passage de montagnes et faire de nouvelles provisions ; tel étoit aussi le plan de mon voyage.

Mais comme nous approchions déja des chênes verts, et que je parlois à Lopez du petit repas que nous comptions y faire, je m’aperçus que Moschito n’étoit point avec nous, non plus que la mule chargée de nos provisions. Lopez me dit que ce garçon êtoit resté quelques cens pas en arriere, pour refaire quelque chose au bât de sa monture : nous l’attendimes, — puis nous fimes quelques pas en avant — puis nous nous arretâmes pour l’attendre encore — Nous l’appellames — nous retournames sur nos pas pour le chercher : le tout en vain. Moschito avoit disparu et emportoit avec lui nos plus chères espérances, c’est-à-dire tout notre diner.

*

Le texte de la non autographe, Madrid, Bib. Nacional, cote 22185. François Rosset, Dominique Triaire, JeanPotocki, Manuscrit trouvé à Saragosse (1810) — Manuscrits et imprimés originels Edition électronique 2019. hal-02083167
Téléchargeable ici.

Le Comte d’Olivadez n’avoit pas encore établi des Colonies étrangères dans la Siera Moréna ; cette chaîne de monts sourcilleux, qui séparent l’Andalousie d’avec la Manche, n’étoit alors habitée que par des Contrebandiers des Bandits et quelques Bohémiens qui passoient pour manger les voyageurs qu’ils avoient assassinés : et de la le proverbe Espagnol : “ Las Citanas de Siera Moréna quieren carne de hombres. ”

Ce n’est pas tout. Le voyageur qui se hasardoit dans cette sauvage contrée, s’y trouvoit, disoit on assailli par mille terreurs capables de glacer les plus hardis courages. Il entendoit des voix lamentables se mèler aux sifflements de la tempête, des lueurs trompeuses l’égaroient, et des mains invisibles le poussoient vers des abimes sans fond.

À la vérité quelques auberges isolées se trouvoient éparses sur cette route désastreuse ; mais des revenants plus diables que les cabaretiers eux mêmes, avoient forcé ceux-ci à leur céder la place, et se retirer en des pays où leur répos ne fut plus troublé que par les reproches de leur conscience, sorte de fantomes avec qui les aubergistes ont des accomodements ; celui de l’hottellerie d’Anduhar attestoit St Jacques de Compostelle de la vérité de ces récits merveilleux. Enfin il ajoutoit que les archers de la Ste Hermandad avoi[en]t réfusé de se charger d’aucune expédition pour la Sierra Moréna, et que les voyageurs prenoient la route de Jaen ou celle de l’Estramadoure.

Je lui répondis que ce choix pouvoit convenir à des voyageurs ordinaires ; mais que le Roi Don Philippe Quinto, ayant eu la grace de m’honnorer d’une commission de Capitaine aux Gardes Vallones, les loix sacrées de l’honneur me préscrivoient de me rendre à Madrid, par le chemin le plus court, sans demander s’il étoit le plus dangereux. “ Mon jeune Seigneur /:réprit l’hôte:/ votre merced me permetra de lui observer, que si le Roi l’a honoré d’une compagnie aux gardes avant que l’age eut honoré du plus léger duvet le menton de vôtre merced, il seroit expedient de faire des preuves de prudence ; or je dis que lorsque les Démons s’emparent d’un pays… ” Il en eut dit d’avantage, mais je piquai des deux et m’arrêtai hors de la portée de ses rémontrances ; alors je me retournai et je le vis qui me montroit de loin la route de l’Estramadoure. Mon valet Lopez de Moschito, mon Zagal me regardoient d’un air piteux qui vouloit dire à peu près la même chose. Je fis semblant de ne les point comprendre et m’enfonçai dans les bruyères où dépuis l’on a bati la colonie appellée la Carlota

À la place même où se trouve aujourd’hui la maison de poste étoit alors un abri fort connu des muletiers qui l’appelloient Los Alcornoques où les chaines verts, parce que deux beaux arbres de cette espèce ombrageoient une source abondante que recevoit un abreuvoir de marbre. C’était là seule eau et le seul ombrage que l’on trouvat dépuis Andouhar jusqu’à l’auberge dite Venta-Quemada. Cette Auberge était batie au milieu d’un désert, mais grande et spacieuse. C’était proprement un ancien château des Mores détruit ancienement par un incendie et réparé dépuis pour en faire une hotellerie, de la le nom de Venta-Quemada. Un bourgeois de Murcie s’y était établi. Les voyageurs partoient donc le matin d’Andoulhar, dinoient à los Alcornoques des provisions qu’ils avoient apportées, et puis ils avoient couché à la Venta-Quemada ; souvent même ils y passoient la journée du lendemain, pour s’y préparer au passage de montagnes et faire de nouvelles provisions ; tel était aussi le plan de mon voyage.

Mais comme nous approchions déja des chênes vertes, et que je parlois à Lopez du petit repas que nous comptions y faire je m’aperçus que Moschitot n’étoit point avec nous non plus que la mule chargée de nos provisions. Lopez me dit qu’il étoit resté quelques cens pas en arriere pour refaire quelque chose au bât de sa monture, nous l’entendimes — Puis nous fimes quelques pas en avant, puis nous [nous] arretâmes pour l’attendre encore. Nous l’appellames — nous retournames sur nos pas pour le chercher ; le tout en vain — Moschito avoit disparu et emportoit avec lui nos plus cheres espérances, c’est à dire tout nôtre diner.

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