Car il en faudra, de la générosité, pour conclure une année 2016 au moins aussi atroce pour la Paix et le Bonheur de l'Humanité que les précédentes...



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Il y a une lumière...
Une nouvelle de Noël ou de n'importe quand d'ailleurs, pour quand ça vous fera plaisir.
Pour adultes et adolescents.
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Allan s’était endormi à l’arrière de la voiture. Par moments, il émergeait, et apercevait les lumières des voitures qui semblaient flotter sur l’autoroute, et par d’autre, il replongeait dans le rêve et l’autoroute semblait flotter, suspendue au-dessus des nébuleuses et d’autres galaxies.
Ils revenaient d’un concert des Smiths… Bien sûr, ce n’était pas eux pour de vrai. Ce n’était pas des hologrammes, ni des robots et encore moins des sosies à leur image. Mais ils étaient là en vrai. En chair, en os et en sueur. Et le public aussi était vrai, ce n’était pas du virtuel, ni de l’hypnose, ni des faux souvenirs imprimés dans la cervelle – ce truc n’avait jamais marché, parce qu’il aurait fallu imprimer les mêmes souvenirs synchronisés dans tous les autres centres nerveux du corps pour que l’illusion soit parfaite, et on n’en était pas là…
Allan était encore émerveillé de sa soirée, de l’after avec le groupe qui avait suivi. Aucun excès, aucune drogue, juste de la chaleur humaine… Et ils avaient joué de nouveau, et Allan, qui n’aurait jamais osé le faire lors du vrai concert, avait sacrifié à la tradition de serrer dans ses bras Morrissey, sans aucune arrière-pensée, juste de la pure communion, une tendresse infinie…
Bien sûr, ce n’était pas Morrissey, et c’était lui en même temps. Personne n’avait venu venir ce que tout le monde avait coutume d’appeler « L’invention ». C’était un truc qui avait simplement et instantanément ruiné les vendeurs de drogues, et toute l’économie internationale et tous les gouvernements qu’il y avait derrière.
Sur tous les media, le message unique était répété associé aux pires images, au pire son pour interdire aux masses d’user de l’invention. Le gouvernement, dans ses derniers errements, avait tout tenté – il avait lâché toutes les sectes, mobilisé tous les dealers pour faire du porte à porte et promettre l’enfer et la rédemption en même temps. Mais tout le monde avait déjà essayé l’Invention, et plus personne ne se connectait, plus personne ne suivait.
La police et l’armée et tout le reste de l’administration lâchèrent les gouvernants, lâchèrent les maîtres, et l’élite, persuadée que le pays sombrait dans un genre d’apocalypse zombie que même la bande dessinée, HBO, AMZ, le FBI, la CIA, Assange et Snowden réunis n’avaient pas vu venir - l'élite prit la fuite, persuadée qu’une bonne vieille dictature sanguinaire aux petits oignons les accueilleraient avec leur petit personnel et tout ce qu’ils avaient volé.
Même le Vatican avait presque été déserté par ses maîtres, à part bien sûr une poignée de plus ou moins innocents et d’autres qui ne doutaient de rien. La majorité de la clique était en effet persuadées que le Jugement Dernier allait arriver, et absolument certains qu’aucune extrême onction et qu’aucune des indulgences qu’ils avaient vendues n’avaient fonctionné, puisque les intéressés revenaient demander le remboursement à leurs descendants de toutes les sommes versées plus le préjudice moral de toute une vie de souffrance à croire en une faute qu’ils n’avaient pas commises et à un paradis où personne n’allait jamais.
Pourtant, le principe de l’Invention était simple, et n’impliquait la prise d’aucune pilule, ni d’exposition aux radiations ou l’immersion dans on ne sait quel liquide – eau bénite, sang de vierge, lait de chèvre – les gens avaient à toutes les époques, tout essayé. Non, l’Invention faisait partie du pack de base à la livraison du corps humain à ce monde – certains parlaient de vaisseau : tout être vivant était forcément relié à une masse d’être vivants que ce soit en direction du passé comme en direction du futur ou encore dans toutes les directions.
C’était évident quand on entrait tous en phase que ce soit dans un concert de rock, un match de foot, une messe honnête ou un rassemblement, même limité à la table d’un pub ou d’une brasserie.
L’Invention, c’était le même principe – sauf que c’était avec n’importe qui du passé, du présent ou du futur ou même de fictionnel– ou plutôt le meilleur de n’importe qui et n’importe qui de présent et bien réel. Cela n’avait rien d’une possession : on pouvait reprendre les commandes à n’importe quel moment, et l’Autre n’avait aucune crainte de repartir, puisqu’il ne cesserait jamais d’exister à un moment ou à un autre du passé, du futur, ou du présent et peu important.
Bon, c’est vrai que c’était un peu chelou de se retrouver nez à nez avec soi-même plus jeune, ou d’un héros de son enfance, ou sorti de l’écran de cinéma comme dans ce film de Woodie Allen, la cruauté du monde en moins – ou encore, de pouvoir discuter comme si de rien n’était avec quelqu’un qu’on savait avoir été abattu par un timbré ou culbuté par un putain de camion des années auparavant.
Mais très vite, on entrait en phase les uns les autres, et personne ne revenait pour se venger ou prendre la place de quelqu’un ou, vous savez bien, pour faire ce que tant de gens faisaient aux autres sur cette planète et probablement sur d’autres : abuser. Et le gros plus, c’est que personne n’en mourrait ou ne disparaissait. En fait c’était exactement le contraire, à chaque instant.
Pour certains commentateurs, qui choisissaient soigneusement leur mots, et les pensaient avec un minimum d'intelligence et d'empathie, au lieu de dire n’importe quoi comme cela ou de répéter ce que disait le prompteur ou l’oreillette, il s’agissait d’une mutation – une évolution, comme un nouveau sens ou un nouvel organe – mais sincèrement, Allan avait beau eu s’examiner, et examiner les autres, aucune antenne ne leur était sorti de la tête et aucun troisième œil ou sixième doigt ne leur était poussé.
D’un autre côté, on n’avait plus ressenti le besoin de couper les sixièmes doigts pas plus que d’autres appendices de ceux qui en avaient, et on n’avait plus vraiment besoin de médicaments pour guérir tout à fait : on inventait, on entrait en phase, et on ne retenait que le meilleur de l’autre – donc sa santé de fer, sa jeunesse de corps et d’âme si on voulait se sentir jeune aujourd’hui, ou la force de sa maturité, de sa sagesse – ou tout en même temps. On dépassait les opposés.
L’accélération extrême qui semblait mener l’Humanité à son anéantissement ou plus exactement à l’état de troupeau apeuré qui ne devait se fier qu’à une seule voix, un seul guide, une seule information officielle – avait abouti au résultat exactement inverse.
Le travail était fait, la civilisation – la vraie – ne s’était pas écroulée. Bien sûr, les inhumains demeuraient, prisonniers de leurs forteresses et rêvant d’un jour régner à nouveau sur leurs esclaves et de s’amuser de nouveau à les regarder se massacrer et s’exploiter entre eux tandis que les maîtres continueraient d’engranger leurs bénéfices pour les gaspiller toujours davantage et pourrir le reste de l’univers jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Mais cela n’arriverait plus jamais sur la Terre, ni d’ailleurs dans tout le Système Solaire ou dans ce que l’on appelait maintenant l’Univers Approché.
Une autre hypothèse qui avait été évoquée était que les extraterrestres avaient débarqué et à la manière des Martiens de Ray Bradbury, prenaient le visage des disparus, des êtres chers et des gens célèbres. Sauf qu’à ce compte-là, il n’y avait plus un seul humain sur la Terre, puisque tout le monde pouvait le faire. Et puis, tous les extraterrestres ne savaient pas encore Inventer.
Allan se réveilla tout à fait. La voiture s’était arrêté sur une aire d’autoroute pour admirer le soleil qui se levait. D’autres routards avaient fait la même chose. Tout était propre, sain et sûr, et s’il fallait réparer quelque chose, il y avait toujours quelqu’un qui avait des outils et les pièces de rechange étaient en libre service.
Allan n’avait aucune idée de sur quelle épaule il s’était endormi, et cela n’avait aucune importance – ils feraient les présentations, voilà tout… En voyant se lever le soleil, Allan souriait comme un enfant : Morrissey avait bien raison de chanter qu’il y a une lumière qui ne s’éteint jamais. Il ne parlait simplement ni du Soleil, ni des étoiles, ni d’aucun lampadaire...
Et puis Allan demanda à ceux qui étaient là si cela leur disait d’aller voir le prochain concert de Bowie sur Mars – la vraie. La prochaine sortie n’était pas loin d’un astroport et le voyage leur prendrait moins longtemps que l’autoroute pour aller voir Morrissey.
(In)FIN (i)
Tous droits réservés, David Sicé texte - achevé le 18 décembre 2016.
Illustration de Rossano - utilisation et modification autorisée à cette date, source
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