Et en avant-première de...
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TOUS DES BÊTES... une très horrible nouvelle fantastique de David Sicé.
Pour adultes et adolescents.Natacha arracha l’ourse en peluche des mains du bambin, qui se mit aussitôt à pleurer à chaudes larmes. L’assistante de maternelle ne comprenait pas, et même s’indignait : « Comment pouvez-vous faire des choses pareille ? »
La jeune femme, qui avait ramassé son fils d’une main et son cabas de l’autre, fit volte-face, vociférant pour couvrir les pleurs du petit bout-de-chou, qui montaient désormais, un peu à la manière d’une alarme incendie : « Non ! Comment pouvez-vous faire une chose pareille ! Les ours sont des bêtes sauvages : ils mangent les gens, ils mangent les enfants, et ils commencent par leur visage et après ils leurs arrachent la peau du ventre et leur dévorent les intestins en tirant dessus, alors qu’ils sont encore vivants !!! »
Les petits enfants encore présents dans le couloir de la maternelle se mettaient à pleurer à leur tour, et la professeure des écoles, Lisa-Beth, voyant venir le moment où l’assistante de maternelle en collait une à la parente d’élève, intervint en tirant la dame par la manche de sa blouse : « Laissez tomber Raïssa, vous voyez bien que c’est une folle… »
Outré, Natacha quitta les lieux sans plus attendre, regagna son énorme quatre-quatre parqué sur le trottoir et démarra en trombe, manquant d’écraser une autre maman et son bébé. La maman l’insulta copieusement, mais on n’entendait rien à travers les vitres épaisses. À l’arrière, le bambin soigneusement attaché s’était instantanément calmé, suçant sa compote de pommes et le bavoir tâché qui lui tenait lieu de doudou sur les genoux.
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Natacha soupira, puis alla se garer sur le parking du collège de sa fille aînée : elle n’en avait pas terminé avec sa journée. Elle prit le temps de vérifier son maquillage, de récupérer un livre de poche tout corné dans la portière ; puis, poussant son bébé soigneusement ceinturé, l’air farouche et décidée, elle ignora superbement le surveillant censé empêcher les gens de passer le portail, et alla droit en direction de la salle des professeurs, où elle était censée rencontrer la professeur de français et professeur principale de Chloé.
Personne ne l’arrêta. Dans le hall, Natacha faillit même se retrouver face à la Conseillère Principale d’Éducation, qui en l’apercevant tourna des talons et courut se réfugier dans son bureau. Natacha entra dans un grand bang, celui de la lourde porte heurtant violemment le mur du côté des casiers des professeurs.
Émile Leroux, professeur de sport grand et baraqué dans la force de l’âge, crut d’abord que c’était l’un de ses c…rds de quatrième qui avait osé ouvrir la porte d’un coup de pied – mais réalisant son erreur, fit un bond arrière pour éviter de se faire rouler dessus par la poussette. Natacha alla droit sur la professeur de français et la gifla avec le livre de poche – un exemplaire de l’œil du Loup de Daniel Penac.
« Comment, hurla-t-elle de sa voix qui montait dans les aigus au point de vous coller une migraine pour le reste de la soirée et même la nuit qui suivait, osez-vous faire lire ce torchon répugnant à vos élèves ? »
Et sans laisser le temps de répondre à la professeur de français, qui réalisait en tremblant qu’elle avait désormais la lèvre fendue et saignait, Natacha reprenait, véhémente : « Les loups sont des monstres : ils vous déchireraient les tendons d’Achille pour vous empêcher de courir ! ils vous arracheraient la gorge la gorge, et pendant que vous pisseriez le sang à cinq mètres, ils vous fourreraient le museau sous la jupe pour vous arracher… »
Mais Natacha se sentit soudain prise à bras le corps et soulevée. Elle avait beau crier et gesticuler, Monsieur Leroux l’emmena ainsi jusqu’au portail et la jeta dehors, tandis que le surveillant s’empressait de refermer derrière Chloé, qui poussait désormais son petit frère. La jeune fille mortifiée s’excusa du regard.
Dans la salle des professeurs, la professeure de français sanglotait, tandis qu’une collègue lui tendait de nouveaux mouchoirs en papier pour remplacer ceux tout sanguinolent qu’il fallait jeter. À l’entrée de la salle des professeurs, la Conseillère Principale d’Éducation remarquait que la parente d’élève ne lui avait pas cassé de dents, il ne fallait donc pas en faire un drame. Et comme on lui montrait le livre de poche, elle ajouta que ce n’était pas un si bon livre que cela, et que s’il choquait un parent, il valait mieux le retirer de suite des cours et du centre de documentation.
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Remontée dans son quatre-quatre, Natacha reprit sa respiration ; se recoiffa ; ordonna à sa fille de vérifier si elle s’était bien attachée et si le petit Nicolas l’était aussi. Puis elle démarra. Le parking et la route étaient désert à présent que le dernier car scolaire avait quitté les lieux. Et comme le quatre-quatre montait le long de la colline le long de la route qui serpentait, toute bordée d’arbre épais, la nuit tombait peu à peu.
Ils passèrent le grand portail du lotissement. Puis le portail beaucoup plus haut, solide et garni de pointes de leur propriété. Puis ils attendirent que la porte du garage se soulève complètement, avec son gyrophare et son alarme bruyante dont les voisins se plaignaient à l’autre bout du lotissement. Puis, une fois dans le garage illuminé, ils attendirent que la porte redescende. Natacha prit alors bien garde de regarder de tous les côtés, dans les rétroviseurs et sur l’écran des caméras arrières. Enfin, mais en gardant la main serrée sur la poignée du grand couteau qu’elle cachait dans son sac à main, elle descendit et autorisa Chloé à défaire sa ceinture de sécurité et celle de son petit frère.
Arrivait le meilleur moment de la journée, celle où après s’être assurée que Chloé était bien à faire ses devoirs et Nicolas dans son parc, elle préparait à manger pour ses enfants, et pour son mari, qui rentrerait plus tard. À cet instant, tous les gestes de la jeune femme étaient apaisés. Le micro-ondes lancé, elle fit le tour du salon pour s’assurer que tous les volets électriques étaient bien descendus. C’était le cas.
Alors elle prit la direction de la chambre de Nicolas, qu’elle baignerait brièvement avant de nourrir. Un souffle de vent froid souleva une mèche de ses cheveux. Natacha s’arrêta net, et pivota lentement. Elle rebroussa chemin. Sentit de nouveau le vent froid, cette fois sur ses jambes et ses bras nus… Son cœur sauta un battement : le vent froid venait de la porte close de la chambre de Chloé.
Natacha sentit la colère monter : elle avait pourtant dit à Chloé de ne jamais fermer la porte de sa chambre, et de ne jamais ouvrir la fenêtre sans son autorisation. Et si sa fille attrapait bêtement un rhume ? Avec le concours de danse pour dans deux jours, ce serait la catastrophe : on n’a jamais vu une ballerine qui renifle et avec des yeux rouges… Natacha ouvra grand la porte, mais l’admonestation cinglante s’étrangla dans sa gorge.
Le loup, grand, décharné, la gueule couverte de sang et de lanières de chair releva la tête de son festin et le fixa de ses deux beaux grands yeux dorés.
Natacha referma la porte et courut jusqu’à la porte – grande ouverte – de la chambre de son petit Nicolas. Indemne, dans son parc, le tout petit garçon était aux anges et babillait, essayant de caresser le très joli ourson bien vivant qui se roulait sur le matelas…
La mère de l’ourson balança alors un coup de pattes magistral en pleine figure de Natacha, et, la retournant comme une crêpe, entreprit de lui dévorer le visage.
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Pendant ce temps, les ours à qui appartenait la maison avaient fini de faire leur promenade avant le dîner et ils rentraient chez eux. Dès qu’ils eurent poussé la porte, ils sentirent que quelqu’un était venu et ils se mirent à fouiller dans la pièce en reniflant partout…
Lisa-Beth interrompit sa lecture et demanda à l’assistante maternelle : « Oui, qu’est-ce qu’il y a, Raïssa ? »
La dame répondit : « C’est juste pour vous dire que Nicolas n’est pas là aujourd’hui et que sa mère n’a pas téléphoné pour prévenir ou l’excuser. Vu le cas que c’est cette fille-là, je serais vous je lui collerais les services sociaux au cul, passez-moi l’expression… »
Lisa-Beth se mordit les lèvres : elle avait autre chose à faire ce jour-là qu’encore plus de paperasserie. Aussi répondit-elle : « Mais vous n’êtes pas moi, Raïssa. Et on ne va pas faire venir la police à chaque fois qu’une parente a un pet de travers et garde son enfant à la maison. Mais merci quand même. »
Et au même moment, dans un collège voisin, la Conseillère Principale d’Éducation criait depuis son bureau : « La petite Chloé, ses parents ont prévenu qu’elle serait absente aujourd’hui ? »
On lui cria de l’accueil de la Vie Scolaire la réponse négative, et la jeune femme cliqua sur son écran en soupirant : « Alors j’envoie un S.M.S. à ses parents. Qu’est qu’ils nous auront fait chier ceux-là ! »
LA FIN DANS LE MONDETous droits réservés David Sicé, achevé le 18 août 2016.***