Blade Runner, le roman de 1968

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Blade Runner, le roman de 1968

Messagepar Greenheart » Mar 30 Avr 2024 12:31

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Blade Runner (1968)

Titre original : Do Androids Dream Of Electric Sheeps ?
(Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?)
Autre titre français : Robot Blues.

Sorti aux USA en 1968 chez Doubleday (grand format).
Traduit en français par Serge Quadruppani en 1976 chez Champ Libre FR
Réédité en 1979 chez Lattès (même traducteur, 256 pages) et en 1985 chez J’ai lu (poche, même traducteur).

Pour adultes et adolescents.

(prospective cyberpunk, robots) En 1992, la Terre souffre d’un hiver nucléaire et ses habitants émigrent massivement pour Mars. La plupart des animaux sont morts, et ont été remplacés par des robots à leur image. Decker et son épouse rêvent de posséder un vrai mouton, et pour se l’offrir, il retrouve et abat des androïdes qui se cachent illégalement sur la Terre. Seulement, ils sont de plus en plus difficile à distinguer des humains.

*

Spoiler : :
L’adaptation cinéma de Ridley Scott a lancé et unifié le mouvement littéraire cyberpunk, c’est-à-dire un genre de récit qui représente un futur dominé par les multinationales avides et impitoyables, où les nouvelles technologies tels les réalités virtuelles, le génie génétique et les nanotechnologies fracturent la réalité et la nature humaine. Blade Runner, le film, et Scott le réalisateur a cependant pris de grandes libertés avec le roman, dont il sabre l’univers et des scènes frappantes, tout en réduisant la question de l’empathie fait-elle l’être humain à « pourquoi casser de si jolies poupées sexuelles ? ».

De plus la production ajoute l’idée que Deckard est lui-même un androïde, ce qui détruit toute la démonstration de ce qu’est l’empathie dans le roman. Rachel n’est pas l’ange sexy qui ressemble à ta grand-mère en plus jeune, mais la pire des s.l.pes de l’élite des super-riches tueuse des rares animaux survivants, donc en aucun cas les Nexus n’ont la précieuse empathie (faculté de ressentir les mêmes émotions qu’un autre être vivant).

Comme beaucoup de récits de Philip K. Dick, le roman foisonne d’idées tandis que le film foisonne d’effets spéciaux, tandis que l’aspect film noir, qui encore une fois est un choix de la production du film et pas du romancier se limite aux apparences, et non à une intrigue solide et rebondissant peuplée de personnages qui ne se réduiraient pas à des clichés. Le film est linéaire : Deckard visite un certain nombre de décors superbes et croise comme dans un niveau de jeu vidéo entrecoupé de cinématiques un certain nombre de cibles et de « civils » à protéger, ce qui frustrera considérablement Harrison Ford habitué à déborder d’idées et construire en collaboration avec ses réalisateurs des personnages attachants. Ridley Scott est de son côté trop occupé à soigner ses décors et ses plans et incidemment coucher avec son actrice principale choisie en fonction de ses goûts sexuels et à l’allure diamétralement opposée au personnage du roman.

En conclusion, le roman est absolument à lire. Il a changé de titre parce que les ayants-droits ont voulu éviter qu’il ne soit remplacé par une novellisation du film écrite à la chaîne, donc ne vous attendez pas à du prédigéré, plutôt, comme souvent chez K. Dick, à de l’inégal, de l’écrit comme ça peut et comme ça vient, du frustrant et du pas léché, mais une force vive sous la déprime, des pépites de culture et de véritable imagination certes cyniques mais très pertinente, — qu’incidemment la traduction française n’hésite pas à lessiver, donc encore une fois, lisez en version originale.


*

Le texte original de Philip K. Dick

ONE

A merry little surge of electricity piped by automatic alarm from the mood organ beside his bed awakened Rick Deckard. Surprised—it always surprised him to find himself awake without prior notice—he rose from the bed, stood up in his multicolored pajamas, and stretched. Now, in her bed, his wife Iran opened her gray, unmerry eyes, blinked, then groaned and shut her eyes again.

“You set your Penfield too weak he said to her. “I’ll reset it and you’ll be awake and—”
“Keep your hand off my settings.” Her voice held bitter sharpness. “I don’t want to be awake.”

He seated himself beside her, bent over her, and explained softly. “If you set the surge up high enough, you’ll be glad you’re awake; that’s the whole point. At setting C it overcomes the threshold barring consciousness, as it does for me.” Friendlily, because he felt well-disposed toward the world his setting had been at D—he patted her bare, pate shoulder.

“Get your crude cop’s hand away.” Iran said.
“I’m not a cop—” He felt irritable, now, although he hadn’t dialed for it.

“You’re worse.” his wife said, her eyes still shut. “You’re a murderer hired by the cops.
“I’ve never killed a human being in my life.” His irritability had risen, now; had become outright hostility.

Iran said, “Just those poor andys.”
“I notice you’ve never had any hesitation as to spending the bounty money I bring home on whatever momentarily attracts your attention.”

La traduction au plus proche

Un

Une joyeuse petite impulsion électrique, relayée par l'alarme automatique de l'orgue d'ambiance à côté de son lit, réveilla Rick Deckard. Surpris — il était toujours surpris de se retrouver réveillé sans préavis — il se leva du lit, se mit debout dans son pyjama multicolore et s'étira. Maintenant, dans son propre lit, sa femme Iran ouvrait ses yeux gris, sans joie, clignait des yeux, puis gémissait et refermait les yeux.

— Tu as réglé ton Penfield trop faible, lui dit-il. Je vais le réinitialiser et tu seras réveillée et...
— Ne touche pas à mes réglages. » Sa voix était d’une vivacité amère : Je ne veux pas être réveillée. »

Il s’assit à côté d'elle, se pencha sur elle et lui expliqua doucement. « Si tu règles l’impulsion assez haut, tu seras heureuse d'être réveillée ; c'est là tout l'intérêt. Au réglage C, elle passe le seuil qui bloque l’éveil, comme elle le fait pour moi. » Aimablement, parce qu'il se sentait bien disposé à l'égard du monde entier — son réglage à lui avait été sur D — il lui tapota l'épaule nue et blafarde.

— Ôte ta grosse main de flic, lâcha Iran.
— Je ne suis pas un flic... » Il se sentait irritable, maintenant, bien qu'il n'ait rien programmé pour cela.
« Tu es pire. répondit sa femme, les yeux toujours fermés. Tu es un meurtrier recruté par les flics.

— Je n'ai jamais tué un être humain de ma vie. » Son irritabilité avait augmenté, maintenant ; était devenue une franche hostilité.
Iran répliqua : Juste ces pauvres andis. »
— Je remarque que tu n’as jamais hésité à dépenser l'argent de la prime que je ramène, pour t’offrir ce qui attire momentanément ton attention. »

*

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La traduction de Serge Quadruppani

1

Le déclic de l’orgue d’humeur situé près de son lit réveilla Rick Deckard. Agréablement surpris, comme chaque jour, par la qualité de son éveil, il se dressa dans son lit puis, debout dans son pyjama multicolore, il étira ses membres. Dans le lit jumeau, sa femme Iran ouvrit des yeux gris sans joie, cligna deux ou trois fois des paupières en grognant puis referma les yeux.

— Tu n’as pas réglé ton Penfield assez haut, lui fit-il observer. Je vais t’arranger ça, et tu te sentiras bien réveillée…
— Touche pas à mon orgue ! (Sa voix était pleine de rancœur.) Je ne veux pas me réveiller.

Il s’assit à côté d’elle, se pencha et lui expliqua doucement :
— Si tu règles la décharge de manière à ce qu’elle soit assez forte, tu seras heureuse de te réveiller. C’est tout l’intérêt de la chose ! Tu mets le bouton sur C et tu atteins d’un seul coup la conscience éveillée. Comme moi.

Parce qu’il se sentait bien disposé à l’égard du monde entier — il avait réglé sous propre appareil sur D —, il caressa la pâle épaule nue.

— Retire ta sale patte de flic sur mon épaule.
— Je ne suis pas un flic !

Il se sentait irrité. Ça ne correspondait absolument pas au réglage de son orgue d’humeur.

— C’est vrai, répliqua sa femme, les yeux toujours fermés, tu n’es qu’un assassin à la solde des flics.
— Jamais de ma vie je n’ai tué un seul être humain.
Il était plus qu’irrité, maintenant, carrément hostile.
— Non, bien sûr. Rien que ces pauvres androïdes
— N’empêche que tu n’as jamais eu le moindre scrupule à dépenser le fric des primes pour satisfaire tes caprices.

*

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La traduction de Sébastien Guillot

1

Ce fut le déclic de l’orgue d’humeur situé près de son lit qui réveilla Rick Deckard. Surpris — ça le surprenait toujours de se retrouver éveillé sans préavis —, il s’extirpa de son lit, se redressa dans son pyjama multicolore et s’étira. Iran, son épouse, ouvrit alors ses tristes yeux gris, battit des paupières, puis les referma dans un grognement.

« Tu règles ton Penfield trop bas, lui dit-il. Je vais changer le réglage, ça va te réveiller et…
— Ne touche pas à mes réglages. » Sa voix recelait une aigreur glaciale. « Je ne veux pas être réveillée. »

Il se rassit sur le lit et se pencha sur elle. « Si tu mets l’alarme suffisamment fort, lui expliqua-t-il, tu seras heureuse de te réveiller : c’est tout l’intérêt de la chose. Sur C, tu atteins d’un seul coup la conscience éveillée. Comme moi. » Aimablement, parce qu’il se sentait bien disposé à l’égard du monde — il avait choisi D pour lui-même —, il se mot à tapoter l’épaule pâle de sa femme.

« Ote tes sales pattes de flic de là, cracha Iran.
— Je ne suis pas un flic. » Il se sentait irrité, à présent, alors qu’il n’avait pas programmé pareil sentiment.
« Non, tu es encore pire, lui dit son épouse, les yeux toujours fermés. Un meurtrier payé par les flics.
— Je n’ai jamais tué un seul être humain de toute ma vie. » Son irritabilité s’était muée en franche hostilité.
« Juste de pauvres andros.
— Je ne crois pas avoir remarqué chez toi la moindre hésitation à dépenser l’argent des primes que je rapporte à la maison pour satisfaire le moindre de tes caprices. »

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