
...Et en avant-première de L’étoile Étrange numéro 2 !
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Bienvenue sur Cassiopée
Une nouvelle de Space Opera pour adultes et adolescents de Space Opera par Doug Greenheart.
Sur le terre-plein de l’astroport libre, la fête battait son plein. Comme sur la piste d’un cirque géant où défilaient en cercles concentriques des animaux surnaturels, humanoïdes étonnants et machines improbables, les passagers défilaient pour embarquer à bord du premier astronef qui les accepteraient. Et s’ils essuyaient un refus, ils repartaient simplement pour un tour, le temps qu’un autre vaisseau remplace le précédent.
Au milieu de la double spirale, qui s’était illuminée en galaxie avec la tombée de la nuit, vaquaient les agents chargés de tenir un compte de ce chaos organisé : qui arrivait, qui partait, d’où ils arrivaient et où ils allaient, et s’ils devaient être renvoyés d’où ils venaient, ou bien empêchés d’embarquer. Ces hommes en noir, aux yeux aveuglés de lunettes en verre miroir, s’agitaient dans toutes les directions, passant et repassant à travers la double file des passagers entrants et sortants – pour la plupart du temps en vain, car il était facile de pirater leurs scans au débarquement ou de falsifier leurs fichiers bien avant l’embarquement.
Pendant que les hommes en noir n’y étaient pas, le garde du corps d’un jeune couple voilé et masqué quitta à son tour la file d’embarquement, pour aller trouver la joyeuse bande bariolée de Space Hippies en partance pour le fameux Festival Perpétuel Amour et de Paix de Cassiopée, dont la joyeuse agitation troublait facilement la géométrie des voyageurs. Il discuta brièvement, échangea des cadeaux, revint auprès du couple qu’il gardait, sans faire de commentaire, ni aucun geste particulier. Le couple se tenait pas la main, et le jeune homme serra seulement la main de sa bien-aimée un peu plus fort.
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Le garçon disait s’appeler Némo et présenta la jeune fille comme étant son épouse Kira. Ils étaient de la petite noblesse locale et partaient en voyage de noces pour un tour de la Boucle Locale après avoir convolé la veille. Clark, le capitaine du Majestico ne s’étonna de rien – il reconnaissait les costumes traditionnels de la caste des nobliaux de Continent Bleu – tout collait jusqu’à l’ordre des pièces de la parure de la jeune mariée, et les poches soigneusement arrachées de l’antique combinaison de vol jaune que portait Némo, symbolisant l’arrivée des premiers colons sur la planète. Certes, la jeune mariée demeurait voilée, là encore suivant la tradition locale – mais le visage bleu du jeune marié respirait l’honnêteté, jusqu’à la pâleur cocasse de ses pommettes comme il rougissait à tout va chaque fois qu’il citait le nom des hôtels dans lesquels le jeune couple allait descendre.
Ce fut donc sans se douter de rien que le capitaine Clark se rendit en cabine de pilotage quand Déna, son second et première concubine l’informa d’un chisme. Et de pointer le vaisseau spatial qui avaient pris en chasse dans l’un des deux cercles étoilés accolés du pare-brise. Déna regarda Clark – le visage buriné du vétéran était soucieux, ce qui voulait dire qu’ils ne parlaient pas d’un vaisseau ami. Il murmura : « Ils ont quelque chose à nous, c’est évident ; avons-nous quelque chose à eux ? »
En entrant rapidement des commandes-clavier, Déna afficha sur l’écran central du tableau de bord les plans du Majestico, puis dézooma pour faire apparaître les cartes circulaires avant et arrière de leur horizon. « Non, lâcha enfin Déna – mais c’est un local. L’Encyclo dit qu’il date au moins de la colonisation de ce trou qu’on vient de shunter. »
Alors Clark percuta et jura : « Voyage de noces mon ki ! » Déna annonça froidement : « Interception dans moins de cinq minutes. Mona peut encore les zapper. » Son capitaine rétorqua : « On n’est pas censé être armé, pas question qu’on nous retire le permis de Boucler ». Déna objecta, cette fois alarmée pour de bon : « Mais si ce sont des pirates ? » « Ce ne sont pas des pirates… » répondit catégoriquement Clark. Puis il ajouta : « Fais un crochet par Argos, avec la balise d’abordage activée – mais ne l’active qu’en vue d’Argos et ne sors pas de la cabine avant que les Argonautes aient sécurisé le bord. C’est compris ? – Compris. » La voix de Déna avait retrouvé son calme.
Le capitaine Clark quitta la cabine de pilotage pour gagner le pont des passagers, sans se presser… Il pensait que, s’il s’abstenait de prévenir les « jeunes mariés » et jouait la surprise, il s’épargnerait une fusillade à bord ou il ne savait quel autre acte de désespoir. Si l’astronef qui était sur le point de les aborder était local, il ne pouvait pas se permettre de massacrer l’équipage du Majestico – les passagers peut-être, mais pas l’équipage : il était impossible de camoufler une épave dans l’hyper-espace, et leur planète serait interdite de navigation dans la minute où leur crime serait découvert.
Puis Clark ressentit ce creux au ventre si familier, qui indiquait qu’ils venaient d’être abordé. Quand il arriva dans le Grand Salon des passagers, le prétendu Némo gisait déjà à terre égorgé, tandis que sa prétendue jeune épouse hurlait, encore et encore. Clark reconnut la tenue d’apparat traditionnel de Bergers du Continent Bleu. Alors le plus âgé et le plus riche d’entre eux arracha le voile de la jeune mariée, et se figea, le voile tenue haut dans une main, la dague d’apparat éclaboussée de sang rouge. On entendait plus que le gargouillis du sang et bruit du couteau qui achevait de décapiter le jeune marié.
Le chef des Bergers Bleus lâcha un juron et donna des ordres à ses tueurs, qui devaient être ses fils. Celui qui brandissait fièrement la tête de Némo perdit son sourire quand il constata, avec les autres, que le visage bleu du jeune fiancée se décollait et tombait, révélant le visage blafard et hagard d’un jeune Hippy de l’Espace. Et avec le visage bleu tombait les cheveux lisses et noirs, faisant jaillir des boucles blondes.
Comme la petite troupe des Bergers Bleus refluaient en direction du sas par lequel ils avaient fait irruption, Clark releva la prétendue jeune mariée – une hippy de l’Espace bien sûr, toute jeune, qui hoquetait – et qui se mit à hurler d’horreur, de chagrin et de désespoir en réalisant qu’elle avait à ses pieds la tête de son fiancée à elle, dans une mare du sang rouge des Terriens qui n’avaient pas encore mutés… Mona, la seconde concubine de Clark, arrivait, l’air lugubre, son propre sabre à la main, tandis que Clark sentait un autre creux familier dans son ventre : le Majestico était libre à nouveau.
Clark donna ses ordres : « Mona, met le gamin dans la cuve et n’oublie aucun morceau – puis ramène de quoi calmer la fille avant que je lui en colle une… » Clark était furieux : ceux qui leur avaient joué ce tour à eux et aux Hippies avaient bien calculés leur coup, car, en vertu du contrat qui autorisait le Majestico à Boucler, il était tenu de porter assistance médicale à ses passagers. Le gamin bassinerait le temps de réparer la décapitation et les dommages subsidiaires, et lui et sa copine en serait quitte pour une leçon salutaire sur le fait qu’il ne faut jamais accepter quoi que ce soit de n’importe qui avant d’embarquer à bord d’un vaisseau spatial.
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Dans les cales de L’Alambra, la fête battait son plein tandis que l’orbe somptueux de Cassiopée VII envahissait l’écran vidéo géant au-dessus du campement hippy improvisé. Alors seulement, déguisés en hippies de l’Espace, le véritable Némo embrassa la véritable Kira. De son côté, leur garde du corps planifiait la suite de leur fuite : il n’était en effet pas question pour eux de rester dans la Boucle, où le père de Kira finirait toujours par les retrouver. Il leur fallait gagner un nouvel horizon, et pas forcément sur une infra-planète comme le Continent Bleu ou Cassiopée VII.
FIN
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Tous droits réservés David Sicé 2016, achevé le 9 juin 2016.
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